oxyde d'anthracite

Publié le 1 Juin 2013

Les faiseurs d'éclipse
.......mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il ne pas crier vengeance ..........

C’est à vous que je parle, hommes des antipodes,

je parle d’homme à homme,

avec le peu en moi qui demeure de l’homme,

avec le peu de voix qui me reste au gosier,

mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il

ne pas crier vengeance !

L’hallali est donné, les bêtes sont traquées,

laissez-moi vous parler avec ces mêmes mots

que nous eûmes en partage-

il reste peu d’intelligibles !

Un jour viendra, c’est sûr, de la soif apaisée,

nous serons au-delà du souvenir, la mort

aura parachevé les travaux de la haine,

je serai un bouquet d’orties sous vos pieds,

- alors, eh bien, sachez que j’avais un visage

comme vous. Une bouche qui priait, comme vous.

Quand une poussière entrait, ou bien un songe,

dans l’oeil, cet oeil pleurait un peu de sel. Et quand

une épine mauvaise égratignait ma peau,

il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre !

Certes, tout comme vous j’étais cruel, j’avais

soif de tendresse, de puissance,

d’or, de plaisir et de douleur.

Tout comme vous j’étais méchant et angoissé

solide dans la paix, ivre dans la victoire,

et titubant, hagard, à l’heure de l’échec !

Oui, j’ai été un homme comme les autres hommes,

nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,

j’ai aimé, j’ai pleuré, j’ai haï, j’ai souffert,

j’ai acheté des fleurs et je n’ai pas toujours

payé mon terme. Le dimanche j’allais à la campagne

pêcher, sous l’oeil de Dieu, des poissons irréels,

je me baignais dans la rivière

qui chantait dans les joncs et je mangeais des frites

le soir. Après, après, je rentrais me coucher

fatigué, le coeur las et plein de solitude,

plein de pitié pour moi,

plein de pitié pour l’homme,

cherchant, cherchant en vain sur un ventre de femme

cette paix impossible que nous avions perdue

naguère, dans un grand verger où fleurissait

au centre, l’arbre de la vie…

J’ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins,

et je n’ai rien compris au monde

et je n’ai rien compris à l’homme,

bien qu’il me soit souvent arrivé d’affirmer

le contraire.

Et quand la mort, la mort est venue, peut-être

ai-je prétendu savoir ce qu’elle était mais vrai,

je puis vous le dire à cette heure,

elle est entrée toute en mes yeux étonnés,

étonnés de si peu comprendre

avez-vous mieux compris que moi ?

Et pourtant, non !

je n’étais pas un homme comme vous.

Vous n’êtes pas nés sur les routes,

personne n’a jeté à l’égout vos petits

comme des chats encor sans yeux,

vous n’avez pas erré de cité en cité

traqués par les polices,

vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,

les wagons de bestiaux

et le sanglot amer de l’humiliation,

accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,

d’un meurtre dont il manque encore le cadavre,

changeant de nom et de visage,

pour ne pas emporter un nom qu’on a hué

un visage qui avait servi à tout le monde

de crachoir !

Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu

se trouvera devant vos yeux. Il ne demande

rien! Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n’est

qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème

parfait, avais-je donc le temps de le finir ?

Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties

qui avait été moi, dans un autre siècle,

en une histoire qui vous sera périmée,

souvenez-vous seulement que j’étais innocent

et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,

j’avais eu, moi aussi, un visage marqué

par la colère, par la pitié et la joie,

un visage d’homme, tout simplement !

***

Benjamin Fondane ( Préface en prose 1942)

Les faiseurs d'éclipse

Ce poème si célèbre, qu’on en oublie parfois que Benjamin Fondane en est l’auteur, est un témoignage poignant de la Shoah. Une ode à ses frères juifs et humains.

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Les faiseurs d'éclipse
.........Chacals que le chacal repousserait, pierres que le dur chardon mordrait en crachant, vipères que les vipères détesteraient ............

Vous allez demander : Où sont les lilas ?

Et la métaphysique couverte de coquelicots ?

Et la pluie qui frappait si souvent

ses paroles les remplissant

de brèches et d'oiseaux ?

Je vais vous raconter ce qui m'arrive.

Je vivais dans un quartier

de Madrid, avec des cloches,

avec des horloges, avec des arbres.

De ce quartier on apercevait

le visage sec de la Castille

ainsi qu'un océan de cuir.

Ma maison était appelée

la maison des fleurs, parce que de tous côtés

éclataient les géraniums: c'était

une belle maison

avec des chiens et des enfants.

Raoul, te souviens-tu?

Te souviens-tu Rafael?

Federico, te souviens-tu

sous la terre,

te souviens-tu de ma maison et des balcons où

la lumière de juin noyait des fleurs sur ta bouche ?

Frère, frère!

Tout

n'était que cris, sel de marchandises,

agglomérations de pain palpitant,

marchés de mon quartier d'Arguelles avec sa statue

comme un encrier pâle parmi les merluches:

l'huile arrivait aux cuillères,

un profond battement

de pieds et de mains emplissait les rues,

métros, litres, essence

profonde de la vie,

poissons entassés,

contexture de toits cernés d'un soleil froid dans lequel

la flèche se fatigue,

délirant ivoire des fines pommes de terre,

tomates recommencées jusqu'à la mer.

Et un matin tout était en feu

et un matin les bûchers

sortaient de terre

dévorant les êtres vivants,

et dès lors ce fut le feu,

ce fut la poudre,

et ce fut le sang.

Des bandits avec des avions, avec des maures,

des bandits avec des bagues et des duchesses,

des bandits avec des moines noirs pour bénir

tombaient du ciel pour tuer des enfants,

et à travers les rues le sang des enfants

coulait simplement, comme du sang d'enfants.

Chacals que le chacal repousserait,

pierres que le dur chardon mordrait en crachant,

vipères que les vipères détesteraient !

Face à vous j'ai vu le sang

de l'Espagne se lever

pour vous noyer dans une seule vague

d'orgueil et de couteaux!

Généraux

de trahison:

regardez ma maison morte,

regardez l'Espagne brisée:

mais de chaque maison morte surgit un métal ardent

au lieu de fleurs,

mais de chaque brèche d'Espagne

surgit l'Espagne,

mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,

mais de chaque crime naissent des balles

qui trouveront un jour l'endroit

de votre coeur.

Vous allez demander pourquoi sa poésie

ne parle t-elle pas du rêve, des feuilles,

des grands volcans de son pays natal ?

Venez voir le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues,
venez voir le sang
dans les rues !
Les faiseurs d'éclipse
PABLO NERUDA ( J'explique certaines choses)
( L'Espagne au coeur, Résidence sur la terre)

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Les faiseurs d'éclipse
......Je ne suis pas de celles qui bâtissent les prisons
Et dont les murs d’enceinte éteignent l’horizon.........

Te souviens-tu de moi, des temps préhistoriques

Je te tenais la main lorsque tu balbutiais

Engendrée dans la lave par notre mère à tous

Héritière d’une intemporalité de vie

Je tutoie les mystères secrets de l’origine

Je suis la pierre qu’on fend, qu’on taille et qu’on boucharde

Celle dont on tait les murs qui coiffent de terrasses

Les tempes des montagnes aux ressources généreuses

Celle qui solidaire à ses sœurs enlacée

Te sert à ériger les abris partageurs

Je ne suis pas de celles qui servent de projectile

Aux esprits appauvris par la haine facile

Ceux qui font dans le brun, la supériorité

Ne sont pas de ma veine et me laisse de marbre

Je suis la pierre d’amour au quartz transparent

Je ne suis pas de celles qui bâtissent les prisons

Et dont les murs d’enceinte éteignent l’horizon

Celles qui dans l’oubli fossilisent tes frères

Celles qui sous la torture concassent les espoirs

Je suis la pierre gypsy éprise de liberté

Je ne suis pas celle qu’on broie, dont on fait le béton

Orichalque géologiquement modifié

Que tu coules à grands flots oubliant la raison

Érigeant la folie des murs ségrégateurs

A Gaza, au Mexique, en banlieue ou ailleurs

Je suis la pierre muret qui protège du vent

Je suis la pierre de lauze qui repousse la pluie

Je suis la pierre de lave que le froid ne mord pas

Je suis la pierre de lune qui fait briller tes rêves

Je suis la pierre des champs parfumée au lichen

Les faiseurs d'éclipse

La pierre d’humanité qu’il ne faut oublier …

Hobo - Lullaby ( La pierre d'humanité)

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Les faiseurs d'éclipse
.........Tu grandiras. Et raconteras à ceux qui hériteront des fusils
Le dit du sang versé sur le fer..........

- Où me mènes-tu père ?

- En direction du vent, mon enfant

A la sortie de la plaine où les soldats de Bonaparte édifièrent une butte

Pour épier les ombres sur les vieux remparts de Saint-Jean-D’Acre

Un père dit à son fils : N’aie pas peur

N’aie pas peur du sifflement des balles

Adhère à la tourbe et tu seras sauf. Nous survivrons

Gravirons une montagne au nord, et rentrerons

Lorsque les soldats reviendront à leurs parents au lointain

- Qui habitera notre maison après nous, père ?

- Elle restera telle que nous l’avons laissée mon enfant

Il palpa sa clé comme s’il palpait ses membres et s’apaisa

Franchissant une barrière de ronces, il dit

Souviens-toi mon fils. Ici, les Anglais crucifièrent ton père deux nuits durant sur les épines d’un figuier de Barbarie

Mais jamais ton père n’avoua. Tu grandiras

Et raconteras à ceux qui hériteront des fusils

Le dit du sang versé sur le fer

- Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?

- Que la maison reste animée, mon enfant. Car les maisons meurent quand partent leurs habitants

L’éternité ouvre ses portes de loin aux passants de la nuit

Les loups des landes aboient à une lune apeurée

Et un père dit à son fils

Sois fort comme ton grand-père

Grimpe à mes côtés la dernière colline des chênes

Et souviens-toi. Ici le janissaire est tombé de sa mule de guerre

Tiens bon avec moi et nous reviendrons chez nous

- Quand donc, mon père ?

- Dans un jour ou deux, mon fils

Derrière eux, un lendemain étourdi mâchait le vent dans les longues nuits hivernales

Et les hommes de Josué bin Noun édifiaient leur citadelle

Des pierres de leur maison

Haletants sur la route du Cana, il dit : Ici

Passa un jour Notre Seigneur. Ici

Il changea l’eau en vin puis parla longuement de l’amour

Souviens-toi des châteaux croisés

Anéantis par l’herbe d’avril, après le départ des soldats

Les faiseurs d'éclipse
Mahmoud Darwich (L'éternité du figuier de Barbarie)

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Les faiseurs d'éclipse
.......La bête immonde est de sortie . La Grèce en son cœur la surveille..........

La pointe du fascisme à nouveau

Se plante dans notre sol

Les flèches tirées depuis la barbarie

Propulsées par des éclats d’obsidienne

Nous éclaboussent des cris

Qui d’outre-tombe veulent nous alerter

La bête immonde est de sortie

La Grèce en son cœur la surveille

En tirant ses flèches de pus putréfié

Elle atteint des cibles en éveil

La pointe du fascisme à nouveau

Se fige dans nos murs

Si nous n’y prenons garde

Ses maîtres dans leurs assiettes

Auront pour nourriture

Des joues d’enfants grillées

Aux enfers de la peste

Les faiseurs d'éclipse
Carole Radureau (La pointe du fascisme)

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Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Oxyde d'anthracite

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