Publié le 23 Juin 2013

........L’abeille prend l’essor, parcourt les arbrisseaux ;
Elle suce les fleurs, rase, en vola
nt, les eaux............
Miel de maquis

Enfin je vais chanter le peuple industrieux
Qui recueille le miel, ce doux présent des cieux.
Mécène, daigne encor sourire à mes abeilles.
Dans ces petits objets que de grandes merveilles !
Viens ; je vais célébrer leur police, leurs lois,
Et les travaux du peuple, et la valeur des rois
Et si le Dieu des vers veut me servir de maître,
Moins le sujet est grand, plus ma gloire va l’être.
D’abord, de tes essaims établis le palais
En un lieu dont le vent ne trouble point la paix :
Le vent, à leur retour, ferait plier leurs ailes,
Tremblantes sous le poids de leurs moissons nouvelles.
Que jamais auprès d’eux le chevreau bondissant
Ne vienne folâtrer sur le gazon naissant,
Ne détache des fleurs ces gouttes de rosée
Qui tremblent, le matin, sur la feuille arrosée.
Loin d’eux le vert lézard, les guêpiers ennemis,
Progné sanglante encor du meurtre de son fils ;
Tout ce peuple d’oiseaux, avide de pillage,
Ils exercent partout un affreux brigandage,
Et saisissant l’abeille errante sur le thym,
En font à leurs enfants un barbare festin.
Je veux près des essaims une source d’eau claire,
Des étangs couronnés d’une mousse légère ;
Je veux un doux ruisseau fuyant sous le gazon,
Et qu’un palmier épais protège leur maison.
Ainsi, lorsqu’au printemps, développant ses ailes,
Le nouveau roi conduit ses peuplades nouvelles,
Cette onde les invite à respirer le frais,
Cet arbre les reçoit sous son feuillage épais.
Là, soit que l’eau serpente, ou soit qu’elle repose,
Des cailloux de ses bords, des arbres qu’elle arrose,
Tu formeras des ponts, où les essaims nouveaux,
Dispersés par les vents ou plongés dans les eaux,
Rassemblent au soleil leurs bataillons timides,
Et raniment l’émail de leurs ailes humides.
Près de là que le thym, leur aliment chéri,
Le muguet parfumé, le serpolet fleuri,
S’élèvent en bouquets, s’étendent en bordure,
Et que la violette y boive une onde pure.
Leurs toits, formés d’écorce ou tissus d’arbrisseaux,
Pour garantir de l’air le fruit de leurs travaux,
N’auront dans leur contour qu’une étroite ouverture.
Ainsi que la chaleur, le miel craint la froidure ;
Il se fond dans l’été, se durcit dans l’hiver :
Aussi, dès qu’une fente ouvre un passage à l’air,
À réparer la brèche un peuple entier conspire ;
Il la remplit de fleurs, il la garnit de
cire,
Et conserve en dépôt, pour ces sages emplois,
Un suc plus onctueux que la gomme des bois.
Souvent même on les voit s’établir sous la terre,
Habiter de vieux troncs, se loger dans la pierre.
Joins ton art à leurs soins ; que leurs toits entr’ouverts
Soient cimentés d’argile, et de feuilles couverts.
De tout ce qui leur nuit garantis leur hospice :
Loin de là sur le feu fais rougir l’écrevisse ;
Défends à l’if impur d’ombrager leur maison ;
Crains les profondes eaux, crains l’odeur du limon,
Et la roche sonore, où l’écho qui sommeille
Répond, en l’imitant, à la voix qui l’éveille.
Mais le printemps renaît ; de l’empire de l’air
Le soleil triomphant précipite l’hiver,
Et le voile est levé qui couvrait la nature :
Aussitôt, s’échappant de sa demeure obscur
e,
L’abeille prend l’essor, parcourt les arbrisseaux ;
Elle suce les fleurs, rase, en volant, les eaux.
C’est de ces doux tributs de la ter
re et de l’onde
Qu’elle revient nourrir sa famille féconde,
Qu’elle forme une cire aussi pure que l’or,
Et pétrit d
e son miel le liquide trésor.(…)

Miel de maquis
Virgile — Géorgiques / Livre IV / Traduction en vers de Jacques Delille

Du site Kirikino

**************************************

..........Ce qu’il faut de granit à tout le genre humain
Pour construire une ruche tout simplement sereine............
Miel de maquis

Ce qu’il faut de basalte, en cette terre des justes

Aux abeilles vaillantes en atelier de genêts

Pour distiller un miel à l’entraide impatiente

Qui suggère aux narines la chanson des forêts

Miel de maquis

Ce qu’il faut de Gypse dans le soleil couchant

Pour attiser le ciel d’un doux rayon d’espoir

Atacama et Cordillère de leurs vœux implorant

Un propolis voulant l’humanité des soirs

Miel de maquis

Ce qu’il faut de sel à Guernica en feu

Pour darder jusqu’au sang les infâmes condors

Et danser pour ses frères dans un ultime adieu

Une piste de liberté pour idéal trésor

Ce qu’il faut de granit à tout le genre humain

Pour construire une ruche tout simplement sereine

Polénisant d’amour la fin des lendemains

Et désignant la paix comme unique souveraine

Ce qu’il faut de vie aux âmes immortelles
Pour butiner les fleurs que nous offre la terre …

Hobo Lullaby ( Ce qu'il faut de vie)
Mur à abeilles à Mons dans le Var © Dr Michel Royon / Licence Creative Commons

Mur à abeilles à Mons dans le Var © Dr Michel Royon / Licence Creative Commons

.......Dans les murets alentour elles puisaient au cœur naissant
Des nectars pur jus de serpolet tannique et de thym rosissant..........
Miel de maquis

Il était un champ abandonné au loin sur le plateau de Valensole

C’était un champ de lavande sauvage aux jolies têtes folles

Personne jamais n’y mettait un pied, ni même les deux

Pourtant ça fleurait bon l’huile essentielle des aïeux

Au loin on croyait apercevoir au milieu des herbes sauvages

Un petit bout de pierre comme une île flottante au doux visage.

C’était une borie de pierres sèches construite par un berger

Mais elle était devenue ruche pour les abeilles abandonnées

Et c’était un bourdonnement constant, confus et chaleureux

Qui surgissait d’un coup de ce pré perdu dans les cieux.

Les petites ouvrières à l’ouvrage allaient butinant et bossant

Dans les murets alentour elles puisaient au cœur naissant

Des nectars pur jus de serpolet tannique et de thym rosissant.

Un petit ru coulait, oh ! Juste ce qu’il faut mais dans son cours

La menthe puis la saponaire y trouvaient un repos au fil des jours

Dame abeille pas regardante prélevait aussi sa part ardente

Cela ne pouvait qu’enrichir le quotidien de la ruche aimante.

Parfois, les butineuses se laissaient tenter par les fleurs cultivées

Là-bas de l’autre côté de la route, là où les hommes mettent l’engrais

Chaque fois c’était la même chanson, disparitions, fuite de la colonie

La ruche s’amenuisait peu à peu, c’était triste à voir cette ignominie

Pourtant le nectar de lavande sauvage était d’un goût exquis

Il produisait un miel gouleyant d’une palette infinie

Et lorsque le berger venait le relever il repartait les bras chargés

Ses pots déborderaient de cette richesse, de ce nectar sacré.

Le miel nourri aux fleurs de la nature par des abeilles rebelles

Unique au monde il était car cet îlot de pierre en était son label

Car il n’y avait plus d’abeilles sur la Terre- mère pour polliniser

Le monde des hommes mauvais les ayant toutes exterminées

Les derniers êtres croupissaient dans les bras de l’enfer

Mangeant leur pain noir aux cailloux dans les geôles millénaires.

Pourtant, dame nature nous le savons est plus forte que tout

Elle garde toujours dans sa manche un précieux atout

La borie des abeilles en est l’exemple criant

L’avenir de cette terre n’attend que le bon moment

Celui où elle pourra repartir sur un air de renouveau

En attendant encore un nouveau chaos.

Miel de maquis
Carole Radureau (12/06/2013, La borie des abeilles)

*****************************************

Les cellules
Miel de maquis

(....)
l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire
l'habileté de plus d'un architecte.
Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte
de l'abeille la plus experte,
c'est qu'il a const
ruit la cellule dans sa tête
avant de la construire dans la ruch
e.

Karl Marx

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Forêt d'émeraude

Repost0

Publié le 7 Juin 2013

Ma vie est ma danse du soleil
Je te salue Léonard

Le vent siffle sur les plumes de ton esprit

Le cœur de la Terre rythme tes oreilles de ses battements

La pluie et le soleil irisent ton souffle

Ton sourire désagrège la lâcheté des murs

Tu as la volonté de la lande de Bobby

Tu as l’espoir de la Turquie de Nazim

Les prairies de Pine Ridge t’offrent leur sagesse

Et tes yeux percent obstinément la nuit

Tu es le vagabond perdu dans l’immensité

Je te salue Léonard, comme tu m’as salué

Dans ces écrits où tu m’as offert l’hospitalité

Toi qui as partagé ton glacial cachot

Pour m’offrir simplement le plus beau des cadeaux

La liberté n’est pas de l’autre coté des barreaux

Elle est dans l’âme des ailes d’un aigle

Hobo Lullaby

*****************************************
Ma vie est ma danse du soleil
........Je te salue mon ami.........

(..) En cette nuit d’hiver, je griffonne comme je peux, à l’aide d’un bout de crayon, le bloc de papier jaune que j’ai acheté au magasin de la prison. Je peux à peine déchiffrer mon écriture dans la pénombre, mais ça ne fait rien.

Je ne sais pas si quelqu’un lira un jour ceci. Peut-être.

Si c’est le cas, ce quelqu’un ne peut-être que toi. J’essaie d’imaginer qui tu peux bien être et l’endroit où tu lis ces mots. Es-tu bien ? Te sens-tu en sécurité ? Alors laisse-moi t’écrire ces lignes. Je te salue mon ami. Merci pour ton temps, ton attention et même ta curiosité. Bienvenue dans mon univers. Bienvenue dans la « maison de fer ».

Bienvenue à Leavenworth.

Leonard Peltier ( Ecrits de prison)

*********************************************
Ma vie est ma danse du soleil
Cri d'aigle

Ecoutez-moi !

Ecoutez !

Je suis la voix indienne.

Entendez mon cri porté par le vent,

entendez mon cri porté par le silence.

Je suis la voix indienne.

Ecoutez-moi !

Je parle au nom de nos ancêtres.

Leurs âmes tourmentées vous appellent depuis la tombe.

Je parle pour les enfants à naître.

Ils vous appellent depuis le silence inexprimé.

Je suis la voix indienne.

Ecoutez-moi !

Je suis le porte-parole de millions de voix.

Entendez-nous !

Notre cri d’aigle ne sera pas bâillonné !

Nous sommes votre conscience qui appelle.

Nous sommes vous

pleurant silencieusement à l’intérieur.

Que ma voix étouffée soit entendue.

Que mon cœur parle et dise les mots en un murmure porté par le vent

à des millions de gens,

à tous ceux qui compatissent,

à tous ceux qui ont des oreilles pour entendre

et un cœur qui bat à l’unisson

avec le mien.

Mettez votre oreille contre la terre,

et entendez le battement de mon cœur.

Mettez votre oreille contre le vent

et entendez ma voix.

Nous sommes la voix de la Terre,

du futur,

du Grand Mystère.

Entendez-nous !

Léonard Peltier ( Ecrits de prison)

**********************************************
Ma vie est ma danse du soleil
Ma vie est ma danse du soleil
........de la mort naît la vie........

De la mort naît la vie. De la douleur naît l’espoir. J’ai appris cela durant ces longues années de perte. Perte, mais jamais désespoir. Non, je n’ai jamais perdu l’espoir, ni ma foi inébranlable en la justesse de ma cause : la survie de mon peuple.

Je ne sais pas comment sauver le monde. Je n’ai pas les réponses, ni la réponse. Je ne détiens aucun savoir secret qui puisse réparer les erreurs des générations passées et présentes. Je sais seulement que sans compassion, sans respect pour tous les habitants de la Terre, aucun d’entre nous ne survivra ni ne méritera de survivre.

L’avenir, notre avenir, celui de tous les peuples de l’humanité, doit être fondé sur le respect. Faisons en sorte que le respect devienne l’élément essentiel de ce nouveau millénaire dans lequel nous entrons. Montrons aux autres le même respect que celui que nous attendons d’eux.

Nous sommes tous dans le même bateau ; le riche, le pauvre, l’homme rouge, blanc, noir, brun ou jaune. Nous sommes une seule et même famille humaine. Nous partageons une responsabilité envers notre Mère la Terre et tous ceux qui y vivent et y respirent.

Je crois que notre tâche sera inachevée tant qu’il restera un être humain affamé, battu, une seule personne contrainte de mourir sur un champ de bataille, un seul innocent en prison, un seul homme persécuté à cause de ses convictions.

J’ai foi en la bonté de l’humanité. Je crois que le bien peut prévaloir, mais seulement au prix d’un réel effort. Cet effort, c’est à nous tous de l’accomplir. Chacun d’entre nous, vous et moi.

Nous devons nous préparer au danger qui viendra vers nous. Nous serons assaillis de critiques. On essayera de nous diviser, on raillera notre sincérité. Mais si nos convictions sont fortes, nous pourrons parer ces coups et renforcer notre engagement envers la Terre Mère. Nous deviendrons plus forts dans nos combats, et transmettrons cette force à nos enfants.

Ne cessez jamais de lutter pour la paix, la justice et l’égalité. Persistez dans toutes vos entreprises. Ne laissez personne vous influencer, vous écarter de votre chemin.

Sitting Bull a dit : « Nous sommes comme les doigts d’une main. Individuellement, il est facile de nous briser, mais ensemble, nous formons un poing puissant. »

Ce combat est le nôtre, que nous le gagnions ou le perdions.

Leonard Peltier ( Ecrits de prison)

**************************************
Ma vie est ma danse du soleil
Une aura d'ombre et de lumière

Comme l’écorce du bouleau

Tu es lumière d’argent, lueur d’horizon

Sa surface lisse glisse sur les ans qui s’enfuient

L’écorce épaissit, se renforce, s’ennoblit

Elle est carapace forgée dans les siècles de fer

Ta liberté est gravée à l’encre de sa chair

Comme la roche de granite

Tu es tendresse et fermeté

La sagesse millénaire fore les grains de pierre

Ta pensée qui s’élève bien au-dessus des cieux

Nous délivre souvent ses messages radieux

La roche s’effrite, tu envoies tes missives

Elles seront martelées dans la fibre minérale

Comme l’aigle dans les airs

Tu es force et courage

Dans ses serres, la liberté s’échappe peu à peu

Les plumes luisent d’un espoir qui semble lumineux

L’aigle ton compagnon n’oublie pas ta détresse

La plume libérée s’envole, elle tombe sous tes yeux

Tu la ramasses, elle est sacrée, porteuse de nos vœux

Comme la Terre Mère vénérée par tes frères

Flottant dans l’atmosphère polluée peu à peu

De barreaux de fer en cage mordorée

Le monde si cruel dont on a que faire

Tu t’en échappes si bien en suivant tes pensées

Le monde si cruel dont on veut se défaire

Tu as trouvé la clé de son éternité

Comme un nuage léger et vaporeux

Je me glisse vers toi, j’arrive dans ta cellule

Les messages contenus dans la masse ouateuse

Sont amour, douceur, prunelles de nos yeux

Nous t’aimons Léonard notre fidèle ami

Notre maître qui de son tragique destin

Signe chaque pas de notre laborieux chemin

De son aura d’ombre et de lumière.

Carole Radureau (02/06/2013)

*****************************************
Ma vie est ma danse du soleil
......Ecoutons les messages de Léonard........

Aimons notre similitude

mais aussi notre dissimilitude.

Notre différence fait notre force.

Ne vivons pas seulement pour nous seuls

mais aussi pour cet Autre

qui est notre Moi le plus profond.

(Différence de Léonard Peltier)

********************************************
Ma vie est ma danse du soleil

(…) Alors mon ami, avant de quitter cette réalité pour une autre plus élevée, je te dis washté ! c’est bien ! Merci d’avoir entendu mes paroles. Je souhaite à ton esprit paix, bonheur et plénitude tout au long du voyage.

Peut-être nous rencontrerons-nous un jour, toi et moi, sur la Grande Route Rouge. Je prie pour que cela arrive.

Mitakuye oyasin.

Nous ne sommes pas isolés

Nous ne sommes pas des êtres isolés, toi et moi.

Nous sommes différentes fibres du même Etre.

Tu es moi et je suis toi

et nous sommes eux et ils sont nous.

C’est ainsi que nous devons être,

chacun de nous doit être unique,

chacun de nous doit être tous.

Tu me tends la main par-dessus le gouffre de la Différence

et tu touches ta propre âme !

Léonard Peltier (Nous ne sommes pas isolés)
****************************

Images 5 et 8 : Peintures réalisées par Léonard Peltier

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Larme d'apache

Repost0

Publié le 1 Juin 2013

Les faiseurs d'éclipse
.......mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il ne pas crier vengeance ..........

C’est à vous que je parle, hommes des antipodes,

je parle d’homme à homme,

avec le peu en moi qui demeure de l’homme,

avec le peu de voix qui me reste au gosier,

mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il

ne pas crier vengeance !

L’hallali est donné, les bêtes sont traquées,

laissez-moi vous parler avec ces mêmes mots

que nous eûmes en partage-

il reste peu d’intelligibles !

Un jour viendra, c’est sûr, de la soif apaisée,

nous serons au-delà du souvenir, la mort

aura parachevé les travaux de la haine,

je serai un bouquet d’orties sous vos pieds,

- alors, eh bien, sachez que j’avais un visage

comme vous. Une bouche qui priait, comme vous.

Quand une poussière entrait, ou bien un songe,

dans l’oeil, cet oeil pleurait un peu de sel. Et quand

une épine mauvaise égratignait ma peau,

il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre !

Certes, tout comme vous j’étais cruel, j’avais

soif de tendresse, de puissance,

d’or, de plaisir et de douleur.

Tout comme vous j’étais méchant et angoissé

solide dans la paix, ivre dans la victoire,

et titubant, hagard, à l’heure de l’échec !

Oui, j’ai été un homme comme les autres hommes,

nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,

j’ai aimé, j’ai pleuré, j’ai haï, j’ai souffert,

j’ai acheté des fleurs et je n’ai pas toujours

payé mon terme. Le dimanche j’allais à la campagne

pêcher, sous l’oeil de Dieu, des poissons irréels,

je me baignais dans la rivière

qui chantait dans les joncs et je mangeais des frites

le soir. Après, après, je rentrais me coucher

fatigué, le coeur las et plein de solitude,

plein de pitié pour moi,

plein de pitié pour l’homme,

cherchant, cherchant en vain sur un ventre de femme

cette paix impossible que nous avions perdue

naguère, dans un grand verger où fleurissait

au centre, l’arbre de la vie…

J’ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins,

et je n’ai rien compris au monde

et je n’ai rien compris à l’homme,

bien qu’il me soit souvent arrivé d’affirmer

le contraire.

Et quand la mort, la mort est venue, peut-être

ai-je prétendu savoir ce qu’elle était mais vrai,

je puis vous le dire à cette heure,

elle est entrée toute en mes yeux étonnés,

étonnés de si peu comprendre

avez-vous mieux compris que moi ?

Et pourtant, non !

je n’étais pas un homme comme vous.

Vous n’êtes pas nés sur les routes,

personne n’a jeté à l’égout vos petits

comme des chats encor sans yeux,

vous n’avez pas erré de cité en cité

traqués par les polices,

vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,

les wagons de bestiaux

et le sanglot amer de l’humiliation,

accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,

d’un meurtre dont il manque encore le cadavre,

changeant de nom et de visage,

pour ne pas emporter un nom qu’on a hué

un visage qui avait servi à tout le monde

de crachoir !

Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu

se trouvera devant vos yeux. Il ne demande

rien! Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n’est

qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème

parfait, avais-je donc le temps de le finir ?

Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties

qui avait été moi, dans un autre siècle,

en une histoire qui vous sera périmée,

souvenez-vous seulement que j’étais innocent

et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,

j’avais eu, moi aussi, un visage marqué

par la colère, par la pitié et la joie,

un visage d’homme, tout simplement !

***

Benjamin Fondane ( Préface en prose 1942)

Les faiseurs d'éclipse

Ce poème si célèbre, qu’on en oublie parfois que Benjamin Fondane en est l’auteur, est un témoignage poignant de la Shoah. Une ode à ses frères juifs et humains.

**************************************

Les faiseurs d'éclipse
.........Chacals que le chacal repousserait, pierres que le dur chardon mordrait en crachant, vipères que les vipères détesteraient ............

Vous allez demander : Où sont les lilas ?

Et la métaphysique couverte de coquelicots ?

Et la pluie qui frappait si souvent

ses paroles les remplissant

de brèches et d'oiseaux ?

Je vais vous raconter ce qui m'arrive.

Je vivais dans un quartier

de Madrid, avec des cloches,

avec des horloges, avec des arbres.

De ce quartier on apercevait

le visage sec de la Castille

ainsi qu'un océan de cuir.

Ma maison était appelée

la maison des fleurs, parce que de tous côtés

éclataient les géraniums: c'était

une belle maison

avec des chiens et des enfants.

Raoul, te souviens-tu?

Te souviens-tu Rafael?

Federico, te souviens-tu

sous la terre,

te souviens-tu de ma maison et des balcons où

la lumière de juin noyait des fleurs sur ta bouche ?

Frère, frère!

Tout

n'était que cris, sel de marchandises,

agglomérations de pain palpitant,

marchés de mon quartier d'Arguelles avec sa statue

comme un encrier pâle parmi les merluches:

l'huile arrivait aux cuillères,

un profond battement

de pieds et de mains emplissait les rues,

métros, litres, essence

profonde de la vie,

poissons entassés,

contexture de toits cernés d'un soleil froid dans lequel

la flèche se fatigue,

délirant ivoire des fines pommes de terre,

tomates recommencées jusqu'à la mer.

Et un matin tout était en feu

et un matin les bûchers

sortaient de terre

dévorant les êtres vivants,

et dès lors ce fut le feu,

ce fut la poudre,

et ce fut le sang.

Des bandits avec des avions, avec des maures,

des bandits avec des bagues et des duchesses,

des bandits avec des moines noirs pour bénir

tombaient du ciel pour tuer des enfants,

et à travers les rues le sang des enfants

coulait simplement, comme du sang d'enfants.

Chacals que le chacal repousserait,

pierres que le dur chardon mordrait en crachant,

vipères que les vipères détesteraient !

Face à vous j'ai vu le sang

de l'Espagne se lever

pour vous noyer dans une seule vague

d'orgueil et de couteaux!

Généraux

de trahison:

regardez ma maison morte,

regardez l'Espagne brisée:

mais de chaque maison morte surgit un métal ardent

au lieu de fleurs,

mais de chaque brèche d'Espagne

surgit l'Espagne,

mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,

mais de chaque crime naissent des balles

qui trouveront un jour l'endroit

de votre coeur.

Vous allez demander pourquoi sa poésie

ne parle t-elle pas du rêve, des feuilles,

des grands volcans de son pays natal ?

Venez voir le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues,
venez voir le sang
dans les rues !
Les faiseurs d'éclipse
PABLO NERUDA ( J'explique certaines choses)
( L'Espagne au coeur, Résidence sur la terre)

*********************************************
Les faiseurs d'éclipse
......Je ne suis pas de celles qui bâtissent les prisons
Et dont les murs d’enceinte éteignent l’horizon.........

Te souviens-tu de moi, des temps préhistoriques

Je te tenais la main lorsque tu balbutiais

Engendrée dans la lave par notre mère à tous

Héritière d’une intemporalité de vie

Je tutoie les mystères secrets de l’origine

Je suis la pierre qu’on fend, qu’on taille et qu’on boucharde

Celle dont on tait les murs qui coiffent de terrasses

Les tempes des montagnes aux ressources généreuses

Celle qui solidaire à ses sœurs enlacée

Te sert à ériger les abris partageurs

Je ne suis pas de celles qui servent de projectile

Aux esprits appauvris par la haine facile

Ceux qui font dans le brun, la supériorité

Ne sont pas de ma veine et me laisse de marbre

Je suis la pierre d’amour au quartz transparent

Je ne suis pas de celles qui bâtissent les prisons

Et dont les murs d’enceinte éteignent l’horizon

Celles qui dans l’oubli fossilisent tes frères

Celles qui sous la torture concassent les espoirs

Je suis la pierre gypsy éprise de liberté

Je ne suis pas celle qu’on broie, dont on fait le béton

Orichalque géologiquement modifié

Que tu coules à grands flots oubliant la raison

Érigeant la folie des murs ségrégateurs

A Gaza, au Mexique, en banlieue ou ailleurs

Je suis la pierre muret qui protège du vent

Je suis la pierre de lauze qui repousse la pluie

Je suis la pierre de lave que le froid ne mord pas

Je suis la pierre de lune qui fait briller tes rêves

Je suis la pierre des champs parfumée au lichen

Les faiseurs d'éclipse

La pierre d’humanité qu’il ne faut oublier …

Hobo - Lullaby ( La pierre d'humanité)

********************************************
Les faiseurs d'éclipse
.........Tu grandiras. Et raconteras à ceux qui hériteront des fusils
Le dit du sang versé sur le fer..........

- Où me mènes-tu père ?

- En direction du vent, mon enfant

A la sortie de la plaine où les soldats de Bonaparte édifièrent une butte

Pour épier les ombres sur les vieux remparts de Saint-Jean-D’Acre

Un père dit à son fils : N’aie pas peur

N’aie pas peur du sifflement des balles

Adhère à la tourbe et tu seras sauf. Nous survivrons

Gravirons une montagne au nord, et rentrerons

Lorsque les soldats reviendront à leurs parents au lointain

- Qui habitera notre maison après nous, père ?

- Elle restera telle que nous l’avons laissée mon enfant

Il palpa sa clé comme s’il palpait ses membres et s’apaisa

Franchissant une barrière de ronces, il dit

Souviens-toi mon fils. Ici, les Anglais crucifièrent ton père deux nuits durant sur les épines d’un figuier de Barbarie

Mais jamais ton père n’avoua. Tu grandiras

Et raconteras à ceux qui hériteront des fusils

Le dit du sang versé sur le fer

- Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?

- Que la maison reste animée, mon enfant. Car les maisons meurent quand partent leurs habitants

L’éternité ouvre ses portes de loin aux passants de la nuit

Les loups des landes aboient à une lune apeurée

Et un père dit à son fils

Sois fort comme ton grand-père

Grimpe à mes côtés la dernière colline des chênes

Et souviens-toi. Ici le janissaire est tombé de sa mule de guerre

Tiens bon avec moi et nous reviendrons chez nous

- Quand donc, mon père ?

- Dans un jour ou deux, mon fils

Derrière eux, un lendemain étourdi mâchait le vent dans les longues nuits hivernales

Et les hommes de Josué bin Noun édifiaient leur citadelle

Des pierres de leur maison

Haletants sur la route du Cana, il dit : Ici

Passa un jour Notre Seigneur. Ici

Il changea l’eau en vin puis parla longuement de l’amour

Souviens-toi des châteaux croisés

Anéantis par l’herbe d’avril, après le départ des soldats

Les faiseurs d'éclipse
Mahmoud Darwich (L'éternité du figuier de Barbarie)

*************************************
Les faiseurs d'éclipse
.......La bête immonde est de sortie . La Grèce en son cœur la surveille..........

La pointe du fascisme à nouveau

Se plante dans notre sol

Les flèches tirées depuis la barbarie

Propulsées par des éclats d’obsidienne

Nous éclaboussent des cris

Qui d’outre-tombe veulent nous alerter

La bête immonde est de sortie

La Grèce en son cœur la surveille

En tirant ses flèches de pus putréfié

Elle atteint des cibles en éveil

La pointe du fascisme à nouveau

Se fige dans nos murs

Si nous n’y prenons garde

Ses maîtres dans leurs assiettes

Auront pour nourriture

Des joues d’enfants grillées

Aux enfers de la peste

Les faiseurs d'éclipse
Carole Radureau (La pointe du fascisme)

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Oxyde d'anthracite

Repost0