Publié le 4 Avril 2021

4. Un soleil bien coiffé – Aris Alexandrou

Echo de poète

(….)
2. le vent souffle,
Un vent devenu séchoir rouillé.
De la guérite
Sortira un soleil
Bien coiffé.

Par n’importe quel moyen
Tâche de conserver toutes tes mains.
Même si l’iode et la nudité te démangent.
Avec leurs plaies béantes
Au bout des doigts
Presse-les
Sur l’empreinte du monde.
(….)

Aris Alexandrou, Sténographie du no man’s land in L’amertume et la pierre, poètes au camp de Makronissos 1947-1951, traduction Pascal Neveu

La fin du soleil
Est proche
Tout bien coiffé qu’il est
Quand la mort
Sort
Son képi sur la tête.

Séchant tout ce qui devait
L’être
Le vent
Prend le tournant
Dérapant sur les pierres
Rouillées.

L’empreinte du monde
Souillée maintes fois
Maintes fois souillée
Evite-les ou évite-les
Sur la pierre plate et pure
Pose ton pied
Sur la pierre ronde et lisse
Pose ta main
La ligne d’horizon est une
Empreinte tombée à l’eau
La pierre à retourner
Au besoin
Pour voir une autre face.

Carole Radureau (04/04/2021)

……poésie d’avril 2021….
……pas un jour sans poème……

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Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Pas un jour sans poème, #Echo de poète, #à la petite semaine, #Aragonite

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Publié le 3 Avril 2021

3. Les vocations du tilleul – Jacques Lacarrière

Echo de poète

Jacques Lacarrière a attendu 30  ans pour oser par écrit cet aveu : un tilleul fut son 1er maître. Il relate cela brièvement dans Chemins d’écriture et plus longuement dans Le pays sous l’écorce.

 

Enfant, j’aimais dès le printemps m’installer dans les hautes branches du tilleul, dans le jardin de mes parents. Nous n’avions qu’un seul arbre en ce royaume étroit dont une moitié, cultivée par ma mère, regorgeait de framboises, de groseilles, de rhubarbes et de fleurs patiemment arrosées et dont l’autre, pour des raisons inexpliquées, demeura des années à l’état sauvage. Une simple allée séparait ces deux mondes, celui des herbes sages, celui des herbes folles et, en parcourant cette allée, j’avais le sentiment d’être à l’orée de deux promesses, sources de joies futures….

Le tilleul poussait juste à la limite de ces deux espaces, au bout de l’allée. Lui aussi, entre sa base et son sommet, recelait deux domaines opposés : ses parties basses étaient taillées, son tronc chaulé contre les parasites ; mais dans ses parties hautes (où nul à part moi n’accédait) bruissait un monde d’oiseaux et de rumeurs secrètes. De là-haut, assis sur la plus haute fourche, je dominais sans être vu tous les jardins environnants. J’observais les merles, les pinsons, les mésanges qui venaient se poser près de moi quand j’avais la patience de rester longtemps immobile ; je suivais de minuscules et vertes araignées tissant leur toile entre les feuilles ou les iules qui couraient sur les branches dès que j’en soulevais l’écorce. A force de demeurer là, silencieux, dans le roulis vert, fermant à demi les paupières pour mieux faire scintiller le soleil dans mes yeux, bercé par le vent comme en quelque hauban, je naviguais des heures au cœur des ondes et des souffles, en un murmure d’êtres et d’esprits, subtils comme des elfes en gésine enfantant pour moi seul les fées de mes jeudis……

 

Jacques Lacarrière (Chemins d’écriture, collection Terre Humaine)

 

Tilleul au cœur de l’homme a déposé un

Halo d’elfes empressés de connaître

Le chant battu sur la peau tendue d’un tambour

Battant le rappel des ondes

Tilleul dont la canopée attire un sillon de vies

Comme une fourmilière l’autoroute à gendarmes

La maison de dame mésange et puis toutes les histoires

Développées en son duramen

Tilleul qui en chaque enfant a fait naître des vocations

Sont-ce tes fées aériennes et soyeuses que l’on entendit 

Susurrant à nos oreilles des rêves immenses des chemins

A parcourir des histoires à raconter à l’ombre de ton pied ?

Tilleul dont je ne connaissais que la canopée, l’ombre

Fraîche, comme une couverture au parfum de rêve

Comme une puissance protectrice de la petite maison aimée

Tilleul que je gravissais pour détacher tes fruits en papillotes

Tes miracles ailés

Leur parfum n’entête pas, infuse en les sens une histoire de permission

Une envie d’y revenir pour tresser la matrice de ta veine joyeuse

Tilleul dont la présence offre un seuil où rêver

Observer attendre compter décompter fulgurer méditer

Je ne me tairais pas tant que ton miel en fusion

Ravira la faune et mon humble glotte.

 

Carole Radureau (03/04/2021)

 

 

…….poésie d’avril 2021….

……pas un jour sans poème…..

 

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Publié le 2 Avril 2021

Echo de poète

 

On dit que l'ombre de mon peuple tremble ;
elle tremble parce qu'elle a touché l'ombre triste des cœurs
des femmes.
Ne tremble pas, douleur, douleur !
L'ombre des condors arrive !
- Pourquoi l'ombre vient-elle ?
Est-ce que cela vient au nom des montagnes sacrées
ou au nom du sang de Jésus ?
-Ne tremble pas, ne tremble pas ;
ce n'est pas du sang, ce ne sont pas des montagnes ;
c'est l'éclat du soleil qui vient dans les plumes des condors.
-J'ai peur, mon père.
Le soleil brûle ; il brûle le bétail ; il brûle les champs.
On dit que dans les collines lointaines
que dans les forêts infinies,
un serpent affamé,
une déesse serpent, fils du Soleil, dorée,
est à la recherche d'hommes.
-Ce n'est pas le Soleil, c'est le cœur du Soleil,
son rayonnement,
sa puissance, son rayonnement joyeux,
qui vient dans l'ombre des yeux des condors.
Ce n'est pas le Soleil, c'est une lumière.
Lève-toi, lève-toi ; reçois cet œil sans limites !
Tremble avec sa lumière ;
secoue-toi comme les arbres de la grande selva,
commence à crier.
Formez une ombre, hommes, hommes de mon peuple ;
tous ensemble
tremblez avec la lumière qui vient.
Buvez le sang doré du dieu serpent.
Le sang brûlant atteint l'œil des condors,
charge les cieux, les fait danser,
se détacher et accoucher, créer.
Te créer, mon père, la vie ;
homme, mon prochain, mon aimé.

 

José María Arguedas, Katatay traduction carolita

 

Te créer vie, accoucher et boire dans ta source

La lie de vie

La véritable semence

Le condor a ravi l’ombre de la désespérance et son

Œil a le reflet des ères sombres

Il a peur aussi le soleil quand il voit en bas

Le monde s’entre-déchirer

Les forêts se faire tuer comme de simples soldats de plomb

Les eaux être souillées comme des sanitaires

Te créer beauté, te sortir et te hisser de nos âmes

Claires

En se servant s’il le faut d’un  forceps à beauté

Te disséminer te faire voler avec la grâce du prince condor

Te répandre grâce à la grâce du prince colibri

Te faire resplendir en irradiant du sourire du soleil,

Conquis

Te rendre fruit grâce à lui grâce au travail des hommes

A vos place, chers hommes qui poursuivez vos efforts

Pour la vie pour la pérennité pour la dignité

Reconquérant la confiance du soleil

Reconquérant la dignité de l’aube

Reconquérant la place première, l’unité

La vérité au cœur de la matière

Le grand respect non la plainte du cœur.

 

Carole Radureau (02/04/2021)

 

……poésie d’avril 2021….

…….pas un jour sans poème……

 

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Rédigé par caro et hobo

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Publié le 1 Avril 2021

…..écho de poète……

 

 

Jiri Orten poète juif de langue tchèque, renversé et tué par une ambulance allemande sur un quai de Prague le 30 août 1941, le jour de son 22e anniversaire.

Orten est un pèlerin pragois. Frantisek Halas le dit : « Amour, pureté et compassion étaient toute la richesse de son balluchon de pèlerin et de poète en route vers le froid. Ainsi chargé il faisait halte au-delà de la porte de l’angoisse et des failles de la nuit ».

Lui-même est conscient de son rôle de pèlerin qui ne peut rien changer au monde ; il sait qu’il est un témoin : « Je ne suis né sur cette terre que pour témoigner ».

Dans Dernière poésie (1940) il s’accuse :

« Je suis coupable de l’odeur odorante,

 Vain désir d’un père,

Des vers, oui, je le sais, de l’amour perdu,

De la pudeur et du silence et de ce monde de misères,

Du ciel et du Dieu sévère qui a raccourci mes jours

En un paradis, mort, sur terre –« 

Dans cette situation, écrire des poésies signifiait pour Orten, respirer.

Seule la poésie écrite au jour le jour, lui a permis de ne pas sombrer dans le désespoir.

La poésie qui naissait en lui comme un flux mélodique, bien que non exempte d’artifices et de ruses d’écriture était pour lui l’unique défense possible dans une existence menacée, et en même temps un remède contre la perte de la liberté.

Déjà en 1938, il avait écrit à Halas : « Je veux être poète de tout mon cœur et plus encore, je veux mourir pour cela. »

Durant les 3 ans de persécution de double extranéité de pèlerin pragois et de Juif sans patrie, l’attachement d’Orten à « cette chose qu’on appelle poésie » se fait plus acharné, et il surmonte le vide de ses années infâmes avec une sorte de fureur poétique.

« Cela seul est mon monde, mon espérance, ma foi : écrire, écrire, écrire, jusqu’au terme suprême. »

Le pèlerin sait bien que cela n’y changera rien, car la poésie n’est pas l’ellébore qui guérit la folie car tout est prédestiné et immuable :

«  La pierre fut donnée/la pierre fut donnée ! »

Il faut malgré tout adhérer à son propre destin, louvoyer dans les méandres de l’absurde en trouvant en soi le salut, donner un sens à ce qui est le plus désespéré.

Il faut s’accomplir totalement, être, avant qu’on ne vienne vous chercher.

 

Extraits de Praga magica d’Angelo Ripellino, collection Terre Humaine

En savoir plus sur cet auteur

 

Ecrire pour ne pas mourir 

Ecrire parce que c’est cela l’encre de vie

L’encre qui se dit encore qui chaque jour

Te donne plume et soleil

Tu te lèves le premier

Pied tombé dans la poésie

C’est une poésie traversière

Une poésie de la balade, de la balade

Santé car elle est remède elle est sacrée car

Elle peut servir de compensation

Chaque jour chaque jour un poème comme pour

Eriger sur le calendrier une citadelle de force :

La force des mots

Chaque jour chaque jour un poème ou même deux

Comme pour se démontrer

Que l’on est bien vivant

Combien de perles de mots se fixent au collier

Pour le monde meilleur ?

Y croyant encore voulant toujours y croire

Non, il n’y a rien qui ne fasse affaisser les épaules

De la poésie :

C’est elle qui domine c’est elle qui draine

Elle n’est pas une reine juste une petite combattante

Qui jamais ne se croit importante

Encore moins imposante

Qui se sait utile et précieuse comme une fleur

Comme une pierre

Oublie le pansement que je viens de te dire d’elle

Qu’elle pose sur nos âmes éperdues ou tristes

Oublie le baume que je viens de te dire d’elle

Qu’elle dépose comme une cape sur la souffrance

Elle est là, si tu l’appelles c’est ta compagne de route

Le pèlerin se sert d’elle comme d’un bâton de marche

La retourne pour gribouiller ses vers sur un mur de pierre

La rend militante la rend puissante journaliste pour

Témoigner d’un vécu

Chaque jour, chaque jour

L’honorer, la réciter, la penser, la décrire, la soutenir,

L’embellir, la ramasser pour en faire une page de lumière.

 

Carole Radureau (01 /04/2021)

 

……..poésie d’avril 2021…..

…….pas un jour sans poème……

1. La pierre fut donnée – Jiri Orten

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Rédigé par caro et hobo

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